Le silure, et sa relation aux autres poissons...
Rédigé le 07/11/2013
Voici un essai de Anado -jp sur « Les relations du silure avec les autres poissons », ou, en terme plus spécifique son action dans le réseau trophique.
C’est un sujet qui interpelle tout le monde, du plus passionné de silure au dernier de ses détracteurs.
S' il y a bien une chose à prendre en compte quand nous partons à la pêche aujourd’hui, c’est bien ça car dans nos grands fleuves les silures ont profondément marqué leurs biotopes. A cause de leur présence, les autres poissons ont changé leur comportement et par voie de conséquence leurs habitudes et leurs tenues. Au travers de ces quelques lignes, je vais tenter d’éclairer un peu vos lanternes sur «l’effet-silure».
UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES
Qui n’a pas constaté depuis l’arrivée de ce fantastique prédateur, que le comportement des carpes a changé ? Pour moi, en Loire, les grosses séries de départ sont bien plus rares, pourtant les poissons sont encore là. Les sandres que tout le monde cherchait dans les fosses n’y sont plus. A leur place, on trouve fréquemment un silure. De ce fait, la déduction la plus souvent faite par la plupart des pêcheurs est simple : « les silures ont tout mangé, on ne prend plus rien d’autre !!! ».Le bouleversement que le silure a apporté, ajouté au délit de sale gueule dont il est victime, n’ont pas aidé ce pauvre poisson, et ceci malgré les études menées à son sujet. Elles ont pourtant abouti à des conclusions plutôt rassurantes ( voir encadrés). Il est vrai que ce silencieux changement de comportement des espèces n’est pas forcément évident à remarquer, mais il est pourtant bien réel. Les poissons n’ont pas été mangés par les silures, il en est tout autre.
Commençons par le commencement. Je ne vais pas me lancer dans une énième description de notre moustachu favori, nous le connaissons tous mais plutôt par son rôle. Il faut rappeler une chose: en temps que prédateur situé tout en haut de la chaîne alimentaire, il ne craint personne, il est donc enclin à se trouver dans toute la couche d’eau, du plus profond jusqu'à des plages où il n’y en a que 50cm.. Il est susceptible de s’intéresser à tout ce qui peut entrer dans son gosier.
Délit de sale gueule ?
La grosse étoile
C’est justement ça qui fait de lui un formidable atout pour l’équilibre d’un biotope. J’appelle ça l’effet "étoile de mer". En effet, des études ont démontré l’action bénéfique de ces petits prédateurs à 5 bras sur les récifs. Pour faire court, sur un récif sans étoiles, il y avait peu d’espèces de mollusques (bivalves et gastéropodes). Seules, deux ou trois espèces dominaient et leurs effectifs étaient énormes. On était en présence de grandes colonies qui tendaient à un peuplement mono spécifique. Les moules recouvraient une partie des rochers, et les berniques et bigorneaux se partageaient le reste. En revanche, sur les récifs où les étoiles exerçaient une prédation, les moules, berniques et bigorneaux formaient des colonies beaucoup plus petites, les étoiles de mer limitant leur expansion. Ceci permettait à une foule d’espèces de mollusques moins opportunistes de pouvoir se fixer sur les rochers, donc d’améliorer la biodiversité. Et bien, ce schéma se retrouve partout dans le monde et dans tous les écosystèmes, y compris dans nos grands fleuves. Dans leurs eaux, le silure exerce une prédation sur les espèces les plus abondantes, ce qui a pour conséquence d’empêcher une nette dominance d’une ou deux espèces et favorise la biodiversité à la manière des étoiles de mer. Mais c'est aussi une prédation sanitaire: les individus malades ou faibles seront éliminés. Cette forme de prédation est de loin la plus importante car elle favorise le bon état de la lignée génétique des espèces en purifiant les effectifs. C’est là le rôle essentiel d’un super- prédateur. En d’autres termes, il est le garant d’un bon état sanitaire et génétique d’un biotope.
Relations de bon voisinage
A part son rôle de prédateur, il est un habitant du cours d’eau, et les autres poissons ont appris à vivre en harmonie avec lui… si si, vous avez bien lu… en harmonie (ça va faire rire certains irréductibles, mais en tout cas, le silure est bien plus en harmonie avec son milieu que les bracos et viandards en harmonie avec nos rivières, enfin passons…). Les carpes ont largement appris à gérer la présence du silure sur leur territoire. Il semble que là où avant, elles formaient de gros bancs de plusieurs dizaines d’individus, elles sont aujourd’hui scindées en plusieurs groupes de quelques poissons, ceci afin d’être plus mobiles. De ce fait, elles occupent un plus large secteur surtout sur les plages peu profondes. Elles se fondent aussi dans les bancs de mulets, la masse des mulets les dissimule et les silures qui passent sont alors occupés sur les mulets plutôt que sur les carpes. Pour le pêcheur, la pêche ne se résume plus à amorcer copieusement un coup, mais plutôt à faire des amorçages précis, à écarter les lignes au maximum et surtout à être comme les carpes, très mobiles!
UNE CARPE de 20kilos a été prise sur un poste où nombre de silure ont été capturé. Il a suffit d’un amorçage léger lors d’une pêche rapide.
Ceci est valable pour les poissons de taille modeste susceptibles d’être au menu du jour car les gros spécimens semblent se balader nonchalamment, et sans soucis, au milieu des silures calés au fond. L’attitude des silures est aussi très observée par les autres poissons. Un silure apathique qui somnole n’inquiétera pas les autres résidents du secteur. A l’inverse, dès qu’il bouge, ses proches voisins vont l’observer. Si son attitude est suspecte, alors l’écart va se creuser et tout le monde tiendra ses distances. Les poissons entre eux interprètent très facilement et instinctivement ces signaux sensoriels et comportementaux, en tout cas bien mieux que nous jusqu’à présent. Ce phénomène est aisément observable en aquarium (style aquarium de Touraine par exemple) .
La cour du roi
Avec les carnassiers, les relations prennent une autre tournure. Le silure est un concurrent très sérieux. Quand il est petit ,il est une proie privilégiée pour les autres carnassiers mais quand il grandit et ceci jusqu'à une taille d’un mètre vingt à peu près, il est un concurrent gênant pour les gros silures et représente aussi une grosse masse de protéines. Il se fera donc attaquer sans ménagement ni hésitation par les sujets dépassant les deux mètres qui l’engloutiront sans peine. Vous l’aurez compris, le silure, malgré sa taille n’est pas à l’abri de finir en casse- croûte dans sa prime jeunesse. Il n’est enfin tranquille que lorsqu' il atteint une taille d’un mètre cinquante environ. De plus, cette attitude cannibale que développent tous les poissons carnassiers est une excellente garantie pour éviter une prolifération qui entraînerait de graves déséquilibres par la sur prédation. Que la nature est bien faite! Une sorte de hiérarchie s'est également installée au sein des cours d’eau. Le silure a su s’imposer sur les meilleurs postes et bien souvent en tête. Je m’explique : j'ai remarqué qu'en Loire, sur les cassures, fosses, mouilles ..., le silure était présent en tête de ces postes, à l’affût derrière les cassures. Par contre, derrière eux, quelques dizaines de mètres plus en aval, on retrouve les sandres, perches et petits silures. Ce positionnement est dû à l’effet de dominance des plus gros carnassiers pour obtenir la meilleure place, comme le font les brochets, mais pour une autre raison aussi. Les plus petits carnassiers se tiennent à la « seconde place » pour profiter des éventuels restes laissés par les gros silures ainsi que du menu fretin. En même temps, cette position permet de garder un œil sur leurs éventuels prédateurs, chose importante dans un monde où la règle" manger ou être mangé" domine.
Un dernier mot pour les sceptiques
J’entends toujours, au bord de l’eau, quelques irréductibles qui pestent contre le silure pour expliquer leurs mauvais résultats. Il ne faudrait pas oublier une chose, le silure est un poisson européen, il est présent dans les écosystèmes aquatiques depuis toujours côtoyant carpes, sandres, brochets, perches et poissons blancs sans jamais les exterminer. Il n’y a qu’à se pencher sur le Danube, l’Ebre ou le Pô pour comprendre que nos fleuves français présentent des biotopes similaires. Le cas le plus flagrant est l’Espagne avec l’Ebre. Tout le monde y va pour passer un séjour de pêche. On peut y prendre toutes sortes de poissons et pourtant vous connaissez tous sa densité en silures. Alors, pourquoi en France, les choses seraient-elles différentes ? La seule chose que je constate, moi, c’est que les espèces qui connaissent un déclin dans leurs effectifs sont celles qui ont une valeur commerciale. Alors apprenez à relâcher vos sandres, vous verrez très vite la différence. Je tiens une autre preuve irréfutable de ce que j’avance avec le barrage d’une centrale nucléaire sur la Loire. Ce barrage a été classé en réserve pendant plus de vingt ans… En deux mille trois, il a été ouvert à la pêche, et là, oh! Stupeur, en quelques mois, il s’est pris, juste au pied du barrage, des milliers de sandres, des centaines de perches, des brochets, des nuées de poissons blancs, des carpes et également, plus de cinq cents silures au milieu de tout ça.. Si ce n’est pas là la preuve évidente que toutes les espèces vivaient en harmonie, je veux bien déposer les cannes. Par contre, au bout d’un an, le constat était sans appel: les sandres étaient beaucoup moins nombreux. Évidemment, une telle providence a attiré tout un tas d’infâmes individus vaguement pêcheurs mais profondément viandards qui passaient leur temps à entasser des stères de sandres dans leur coffre. J’espère avec ces quelques lignes avoir rassuré ceux qui doutaient encore de l’utilité du silure dans nos eaux, et avoir fait grogner ceux qui n’admettront jamais sa présence. Mais, de toute façon, ceux- là n’auront même pas daigné lire jusqu’au bout par peur d’en ressortir un peu moins…
En tout cas, vous pêcheurs sportifs et respectueux de notre loisir, vous saurez dorénavant quoi répondre aux irréductibles obscurantistes. votre serviteur anado